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Interview de André-François Ruaud, directeur des Moutons Electriques – #plib2018

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©Les Moutons Électriques

Dans le cadre du PLIB 2018 (Prix Littéraire de l’Imaginaire Booktubersapp), dont je suis membre du jury, j’ai eu l’opportunité d’interviewer des responsables de maisons d’édition. Il y a deux semaines, je vous présentais les éditions Critic, en compagnie de Simon Pinel, leur responsable éditorial (si vous l’avez raté, c’est par là^^), et aujourd’hui, c’est André-François Ruaud, des Moutons Électriques, qui a pris le temps de répondre à mes nombreuses questions !

Bonjour, pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis André-François Ruaud, le directeur et gérant des Moutons électriques, la maison que j’ai créée il y a quatorze ans.

André-François Ruaud

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J’aimerais revenir sur la création de votre maison d’édition. Comment est venue cette idée ? Quand ? Est-ce toujours la même équipe qui gère la maison d’édition ?

On était en 2001 quand cette idée a germé, j’étais alors libraire et j’avais grosso modo le choix entre racheter cette librairie ou créer autre chose, tandis qu’un ami, le directeur littéraire Patrice Duvic, cherchait également à investir dans une création d’activité. J’étais lassé de la librairie, alors l’envie de se lancer dans une maison d’édition s’est vite imposée, et avec plein d’autres amis on a monté ce projet en deux ans. Fin 2003 on se lançait, en juin 2004 la société était officiellement enregistrée. Depuis, du temps a passé, les équipes ont changé… Patrice Duvic hélas est décédé en 2007, Raphaël Colson et Julien Bétan m’ont rejoint, l’un est parti en 2013, l’autre en 2017, entre-temps sont arrivés Mérédith Debaque et Vivian Amalric, nos graphistes ont été successivement Daylon, Sébastien Hayez puis maintenant Melchior Ascaride, d’autres collaborateurs sont arrivés, d’autres encore sont partis, bref tout cela est assez fluide, tout change au fil des ans, c’est la vie…

Comment avez-vous décidé de créer la structure Les indés de l’imaginaire ? Qu’est-ce qu’elle vous apporte ?

Les éditions Mnémos et ActuSF sont venues me trouver et m’ont proposé que l’on s’associe pour une partie de la communication et pour les salons ; nous avons immédiatement accepté, d’autant qu’à l’époque nous étions dans la même région, le Rhône-Alpes, et bien sûr toujours chez le même diffuseur-distributeur, Harmonia Mundi Livre. Cette mutualisation de moyens nous apporte beaucoup : nous publions des catalogues que nous n’aurions pas les moyens de faire seuls (par exemple le magazine gratuit « L’Indé »), nous avons en commun un chargé de relations libraires, nous tenons un stand dans quelques salons, nous montons ensemble bon nombre d’opérations en librairie (les « pépites » de l’imaginaire, le mois de Lovecraft, la Rentrée de la fantasy française, les opérations sur Hélios), nous avons même monté deux collections ensemble : la jeunesse pour Naos et le poche pour Hélios, vraiment cette mutualisation d’effort démultiplie nos possibilités.

Vous avez mis en place il y a un peu plus d’un an des “abonnements”, des pré-ventes de vos ouvrages à venir. Que vous apporte la mise en place de cet abonnement ? Est-ce réellement rentable, entre les frais de ports d’envoi des ouvrages un par un, et le montant (prix public) des cadeaux offerts ?

Il ne s’agit en effet que d’un bénéfice relativement mince, mais plus que du bénéfice c’est de la trésorerie, que cela nous apporte : c’est le principe de toute souscription, obtenir une avance de fonds, et ça c’est vraiment important, une petite maison comme la nôtre manque souvent de trésorerie pour investir dans telle ou telle chose. Les abonnements nous aident donc : au lieu de nous parvenir à quatre ou cinq mois d’échéance, il s’agit d’un peu d’argent qui nous est avancé, et ça, c’est précieux.

Vous organisez aussi régulièrement des campagnes de crowdfunding via Ulule (Japon, Les saisons de l’étrange…). Pouvez-vous m’expliquer l’intérêt d’une telle action ?

                      Japon, contreparties bonus  Les saisons de l'étrange, saison 1

Alors là, c’est encore plus crucial que les abonnements : les livres que nous pré-finançons ainsi, ils n’existeraient pas du tout sans cela, nous ne les ferions tout simplement pas. Un « crowdfunding », c’est un financement pour un projet qui ne pourrait pas se concrétiser, sinon — c’est comme une sorte de subvention, en fait, mais venant directement du public.

Vos livres ne sont pas toujours disponibles dans les petites librairies non spécialisées dans l’imaginaire. Si je ne trouve pas un de vos titres chez mon libraire, vous préférez que je lui demande de le commander, ou que je le commande directement sur votre site ?

Au contraire : nos livres sont disponibles partout, après c’est au libraire de les commander, bien entendu. À chacun de faire ses choix, selon où l’on habite par exemple : faire vivre le marché de la librairie est très important, c’est certain. En l’absence d’une librairie ou si vous n’aimez pas aller dans une boutique, vous pouvez aussi nous trouver sur certains salons, ou bien encore passer commande par correspondance… tout est affaire de choix et d’opportunité pour les lecteurs.

Pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre ligne éditoriale ? Les collections qui composent votre catalogue ?

Nous aimons à la fois les bonnes histoires et le beau style, dans toutes les littératures de l’imaginaire, et nous faisons surtout de la création francophone. Notre collection de romans grand format se nomme la « Bibliothèque voltaïque », nous publions aussi quelques essais et des beaux livres dans la « Bibliothèque des Miroirs », et en poche sous le label « Hélios ». Nous venons aussi de nous lancer dans une coédition, avec le label « Les Saisons de l’étrange » ; c’est une collection de courts romans d’aventures avec héros récurrents, dans la mouvance très actuelle d’un renouveau du fantastique.

Pourquoi avoir participé à la mise en place de L’appel de l’imaginaire en mars 2017, et des Etats Généraux ainsi que Le mois de l’imaginaire en octobre ? Qu’espérez vous voir émerger de cette initiative ?

Des éditeurs discutent ensemble : rien que cela, déjà, est très nouveau ! Et très intéressant. À la base, l’impulsion c’était de créer une sorte de lobby qui œuvrerait pour plus de visibilité et de légitimité culturelle des littératures de l’imaginaire. Et le Mois de l’imaginaire va aussi dans ce sens, à savoir l’envie qu’ont les éditeurs de genre de faire parler de nos livres, de « pousser » plus l’imaginaire et d’être beaucoup plus visibles.

Vous avez trois titres présélectionnés pour le PLIB 2018 (Prix Littéraire de l’Imaginaire Booktubersapp), que pensez-vous de ce nouveau prix, décerné par des blogueurs et booktubeurs ? Et de la présélection de ces trois titres ?

Un prix par les lecteurs eux-mêmes, pas par un jury sélectionné on ne sait où ni comment, déjà, ça nous semble être plutôt positif — pour cette même raison, nous avons toujours beaucoup apprécié le prix Rosny aîné, par exemple. Et quant à nos trois titres, le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils sont vraiment très variés, donc ça fait plaisir, cela nous montre que nous pouvons séduire les lecteurs dans plein de registres différents.

Les avis en lignes (blogs, booktube…) sont-ils importants pour vous ? Pouvez-vous nous expliquer pourquoi (que la réponse soit oui ou non^^) ?

La réponse est oui, parce qu’avant les blogs, vous savez, nous n’avions quasiment pas de « remontées », les lecteurs exprimaient rarement leur avis. Et comme la critique installée boude généralement les littératures de l’imaginaire (c’est l’un des gros problèmes auquel le mouvement des éditeurs de L’appel de l’imaginaire voudrait se confronter), obtenir soudain plein d’avis, tous ces lecteurs qui disent publiquement pourquoi et comment ils nous lisent, c’est intéressant.

Les trois titres sont très différents les uns des autres. Lisa Goldstein est une de vos rares traduction, vous qui privilégiez davantage les auteurs français. Pourquoi elle ? Et pourquoi le choix de Patrick Marcel comme traducteur ?

Depuis un moment, je me disais qu’il serait intéressant d’essayer de lancer juste un auteur traduit, au sein de notre catalogue, qui est en effet surtout dédié à la création francophone. J’ai relu des tonnes de romans pas encore traduits, pour finalement porter mon choix sur Lisa Goldstein, parce qu’elle représente pour moi l’une des voix importantes de la fantasy américaine, qu’elle écrit toujours, que ses romans sont indépendants et pas trop longs, et enfin parce qu’elle a une tonalité bien à elle. Nous avons donc publié trois romans de Lisa Goldstein en un an, pour essayer de l’imposer, de dire aux lecteurs : eh regardez, une autrice que vous ne connaissez pas mais qu’il faut découvrir. Patrick Marcel est à la fois l’un des traducteurs renommés en imaginaire (il traduit par exemple GRR Martin et Neil Gaiman), un ami et un actionnaire de notre maison, donc le choix était naturel.

Ma chronique de Sombres cités souterraines

Sherlock Holmes aux Enfers est un véritable OVNI. Je dois avouer que six mois après ma lecture, j’ai toujours du mal à savoir quoi en penser… N’avez-vous pas peur de publier des titres si atypiques ? Et pourquoi prendre ce risque ? Aimez-vous déstabiliser vos lecteurs ?

Sherlock Holmes aux Enfers - Nicolas Le Breton

Eh bien ma foi, en quoi serait-ce un risque ? Les littératures de l’imaginaire sont très vastes et très libres, il n’y a pas que des formules clef en main. Notre littérature a au contraire vocation d’explorer, de tenter, de s’évader… Donc je ne vois pas quelle peur il pourrait y avoir, nous faisons juste notre métier d’éditeur : nous créons et cela signifie entre autres sortir des sentiers battus. Mais ceci dit, placer la figure de Sherlock Holmes dans des situations étranges demeure tout de même assez classique en imaginaire.

Ma chronique de Sherlock Holmes aux Enfers

Quant à Malheur aux gagnants, il s’intègre dans la nouvelle série des Saisons de l’Étrange, qui va si j’ai bien compris devenir une maison d’édition à part entière. C’est une histoire drôle et originale, où le fantastique est finalement assez peu présent. D’où vient cette idée de nouvelle maison d’édition ? De ce format de série TV, avec ses saisons ?

Malheur aux gagnants - Julien Heylbroeck

Ce nouveau label a mûri lentement… D’abord, j’ai toujours lu avec grand plaisir les histoires de détectives de l’étrange, ou regardé les séries fantastiques avec personnage récurent… Et puis des auteurs ont commencé à manifester l’envie d’en écrire… Et enfin, nous en avons discuté avec Melchior Ascaride, notre graphiste, et avec d’autres amis, et ils se sont littéralement emparé du projet, ils ont décidé de le porter bille en tête, en créant une maison d’édition pour cela : les Saisons de l’étrange. Ainsi nous partageons les frais et les risques ; lancer une nouvelle collection n’aurait pas été trop possible pour les Moutons électriques, alors que là, non seulement nous la lançons avec 6 titres sur l’année mais en plus nous finançons un véritable lancement, comme nous n’en avions jamais fait : dédicaces dans plein de librairies, déplacements sur quelques salons, fabrication d’un présentoir pour les piles en librairie, tournage d’une petite vidéo, bonne campagne de com et de pub avec une agence… Bref, on s’est donné ainsi, grâce à nos deux structures, les moyens de porter le projet à fond, comme de grosses maisons pourraient le faire mais que nous, petits éditeurs, serions en peine de financer d’habitude.

Ma chronique de Malheur aux Gagnants

Merci encore à André-François Ruaud d’avoir pris le temps de répondre à mes nombreuses questions, et merci à vous d’être arrivé au bout de cet article plus long que d’habitude. J’espère qu’il vous aura plu. D’autres interviews devraient arriver dans les semaines à venir, mais chut, vous n’en saurez pas plus pour l’instant… 

 #ISBN:9791090648869 – #ISBN:9782361833855 – #ISBN:9782361833947